A la Mostra, le déroutant voyage d’Ahmed Maher

 
On comprend les difficultés du directeur artistique de la Mostra, Marco Muller, à bâtir sa sélection, coincé entre une population locale qui pousse des youyous dès l’apparition d’une star américaine, et une journaliste italienne expliquant dans un article qu’elle n’ira voir aucun des films de la section "Orizzonti" (l’équivalent d’Un certain regard à Cannes), car ils sont trop "ethniques" : c’est-à-dire venus d’Egypte, de Tunisie, des Philippines, d’Inde, d’Asie…
 

Nul besoin, donc, de jouer des coudes pour goûter la splendeur poétique du Sri-Lankais Vimukthi Jayasundara, dont l’Entre deux mondes nous plonge dans un conte sensoriel, énigmatique mais aux fulgurances visuelles fascinantes. L’acteur principal n’a pas pu se rendre à la Mostra, les autorités italiennes lui ayant refusé le visa par crainte de le voir profiter de son séjour pour rester clandestinement sur place.

Révélation, l’étonnant The Traveller, premier film de l’Egyptien Ahmed Maher, a dérouté une salle peu réceptive à l’irruption d’un paon sur le pont d’un paquebot, aux tableaux théâtraux et à une illustration musicale alliant classique, chants orientaux et Beatles. On reparlera sûrement de ce cinéaste, explorateur de la mémoire, adepte des lents travellings et d’une scénographie exubérante, dont le premier volet du film évoque irrésistiblement le Fellini d’Et vogue le navire.

En dernière ligne droite de cette compétition, deux nouveaux films peuvent prétendre figurer au palmarès. Soul Kitchen est une réjouissante comédie de Fatih Akin sur les malheurs d’un immigré grec ayant ouvert un restaurant dans les faubourgs d’Hambourg. Une fiancée qui part en mission à Shanghaï, un frère cambrioleur purgeant une peine de prison, des dettes et arriérés d’impôts, l’appétit vorace d’un promoteur véreux voulant racheter sa gargote et une douloureuse hernie discale font vivre mille tourments à ce sympathique garçon, symbole de la fraternité sociale et de l’esprit d’entreprise d’une classe laborieuse traquée par les requins de la spéculation. L’auteur de Head On (Ours d’or 2004 à Berlin) orchestre de réjouissante et efficace façon la mutation du resto à frites en lieu branché, musical, avec assiettes pour fins gourmets et épices aphrodisiaques.

Le second film surprise que Marco Muller avait gardé dans son chapeau est Lola, du Philippin Brillante Mendoza. Epoustouflante plongée dans les rues de Manille, caméra à la main, sur les traces de deux grands-mères des bidonvilles. L’une enterre un fils poignardé pour un téléphone portable, et réclame justice. L’autre glane de l’argent ici et là pour marchander avec elle le retrait de la plainte et la libération de son petit-fils, l’assassin. Trafics, pluies diluviennes, funérailles en barque, démarches d’infatigables fourmis dans la misère. C’est brut, collé au réel, beau tout simplement.

About Marc Leprêtre

Marc Leprêtre is researcher in sociolinguistics, history and political science. Born in Etterbeek (Belgium), he lives in Barcelona (Spain) since 1982. He holds a PhD in History and a BA in Sociolinguistics. He is currently head of studies and prospective at the Centre for Contemporary Affairs (Government of Catalonia). Devoted Springsteen and Barça fan…
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